Qu’advienne le printemps

 

Chaque jour, une fois dégusté son café post déjeuner, il vient s’asseoir là. Sur ce banc isolé. Entre la grande nef et le bas-côté sud. Seul, tournant le dos aux visiteurs qui défilent, plus ou moins nombreux dans l’axe majeur du grand vaisseau de pierre.

Ce n’est pas la foule, pas la grande aspiration vers le haut, vers l’orient qui attirent son regard. Il les laisse passer, en vagues imperceptibles ou presque.

Avant de venir, comme chaque jour, à l’abri des voûtes, il s’est laissé glisser doucement dans les rues grises de la vieille ville, crâne protégé par son vieux chapeau terne, épaules serrées dans son blouson pour échapper au vent et à la froidure ternes.

Il a retrouvé, comme hier, comme avant-hier, sa place au milieu de ce vieux banc de bois, en a caressé la peau douce d’usure, chaude de tant de polissages anonymes. Il est là, en équilibre entre le monde du dehors, celui du dedans, au milieu de lui-même. Paisible.

N’allez pas croire qu’il attend son tour pour aller déverser ses états d’âme dans ce vieux confessionnal, il n’y croit pas, n’y a jamais cru.

Ce qu’il aime, c’est ce calme de plage à marée basse qui frémit à peine dans la lueur des vitraux. Les couleurs se font patientes. Elles sont comme en attente.

Elles sont nées de fusions secrètes des vitriers alchimistes du verre et des métaux. Elles ont été associées par les maîtres vitraillistes en de secrets assemblages. Il parait qu’elles racontent des histoires, celles de mythes, de saints, les vies ordinaires de modestes ouvriers des temps anciens aussi.

Mais lui ce n’est pas ce livre d’histoires qu’il vient compulser ainsi chaque jour. Ou alors juste comme une grande fresque de la lumière impressionniste qui va bientôt renaître.

Car il la sent bien qui remonte comme une marée douce, lente, sûre.

Chaque jour il aperçoit des brumes d’ombre qui se glissent sur le sol de pierre, découpées par les motifs des vitraux qui viennent s’épandre comme une aquarelle très délavée encore. Mais, depuis quelques jours, les grains de lumière s’accrochent un plus long moment, plus densément, comme une poudre de pastel sec, laissant espérer une tiède progression.

Chaque début après-midi il reviendra, poursuivant de son attente la montée progressive de la lumière au midi.

Et puis, au grand tournant de mars, viendra l’équinoxe de printemps, les couleurs auront repris leur vigueur entière, avant que la saison ne les écrase de trop d’ardeur.

Alors, il pourra ressortir, vainqueur de l’hiver, auréolé de couleurs, pour partir au-devant des retrouvailles de la terre en pleine lumière du dehors.

 

Françoise Trubert, 18 janvier 2025